L'Appel de l’Epoux Divin à la Réconciliation et à l’Unité

Pèlerinage international de prière en Terre Sainte
de
La Vraie vie en Dieu
du 14 au 26 mars
à l'occasion du Grand Jubilé de l'An 2000

Symposium des 19 et 20 mars 2000 à Bethléem

 

Allocution du Père René Laurentin, de l'Eglise Catholique
prononcée en français le 20 mars 2000

La Trinité

 

Pourquoi vous parler aujourd'hui de la Trinité ?

Cela nous rapproche de Vassula qui vit un contact intime, direct et personnel avec les trois personnes de la Trinité et nous les fait aimer. Je suis impressionné d'en parler devant elle, car elle les connaît mieux que moi, intuitivement, personnellement, mais les mystiques aiment la vraie théologie, celle qui fonde la cohérence des mystères. Madame R, qui est décédée le 14 janvier dernier et que j'avais fait rencontrer à Vassula, vivait aussi dans la Trinité. Elle a lu mon livre sur la Trinité, et elle était heureuse d'y retrouver dans le langage de l'Ecriture, ce qu'elle ressentait et vivait en direct.

La Trinité, c'est le programme du Pape pour l'an 2000, et il en vaut la peine. Ce programme vient de loin : l'année des trois papes, Paul VI, puis Jean Paul 1er, étant morts coup sur coup durant l'été 1978. Jean Paul 1er avait été élu non sans difficulté le 3 septembre. Il fut foudroyé par la charge écrasante, au bout de 33 jours, le 28 septembre. Ce matin-là, j'étais à Rome. En sortant de ma chambre, une femme de ménage me dit : "le Pape est mort". Je la crus en retard. Non, Paul VI est mort le 6 août, mais son successeur vient d'être élu. Elle insista : "No, il papa è morto !" le Pape est mort".

Les cardinaux revinrent à Rome ; le cardinal Koenig aborda le cardinal Wyszynski, primat de Pologne, le grand résistant pacifique au communisme, qui a refait la foi de son pays et l'a conduit à la victoire. Il lui confia :

- Parmi les cardinaux italiens, je ne vois pas tellement de papabile. N'y-a-t-il pas quelqu'un ailleurs... ? chez vous ?

Le primat sursaute et dialogue :

- Vous n'y songez pas ! Si je quitte Varsovie, le communisme aura la route libre !

Le cardinal Koenig sourit :

- Ce n'est pas à vous que je pense. N'y a-t-il pas un autre cardinal nommé Wojtyla ici présent ?

- Il est trop jeune, il n'a pas d'expérience, il n'est pas connu.

Le conclave fut laborieux. Il ne trouvait la majorité ni du côté de Benelli qui avait des ennemis comme exécuteur fidèle des décisions dures de Paul VI et mourut l'année suivante, ni du côté du cardinal Siri : 72 ans, six ans de plus que le défunt Luciano. Les voix se reportèrent alors sur Carol Wojtyla. En le voyant faire son jogging chaque matin autour de la cour Saint Damase, plus d'un se dit :

- Celui-là ne va pas mourir.

Au septième vote, il avait 73 voix. Il en fallait 75 pour être élu. Au huitième tour, c'était le triomphe : 97 sur 111. Le cardinal ‘jogging’ était élu. Le cardinal Wyszynski le joignit dès que possible. Vingt ans plus tôt, il avait interrompu sa descente en kayak dans les rapides d'une rivière polonaise pour lui signifier qu'il le nommait évêque à Cracovie. Et maintenant, c'est le primat qui s'agenouillait aux pieds du jeune successeur de Pierre. Un cliché en a laissé une image bouleversante. Ce que la photographie ne dit pas, ce sont les paroles du primat :

- C'est toi qui fera entrer l'Eglise dans le troisième millénaire.

Cette parole prophétique orienta le programme du Pape : d'abord Un Avent avec Marie (Totus tuus), puis le Fils, l'Esprit Saint et le Père, durant les trois dernières années du millénaire 1997-1999. J'ai consacré les trois dernières années de ma vie de théologien à fonder et illustrer ce programme. Je pensais avoir fini en 1999 et je fus d'abord surpris qu'il faille encore parler de la Trinité en l'an 2000.

J'avais approfondi le contact avec chacune des trois personnes et cela m'avait beaucoup apporté. Chacune des trois personnes est attachante, mais la Trinité fait problème.

- C'est du polythéisme, objectent Juifs et Musulmans.

- C'est une absurdité, disent les rationalistes, comme une introduction mathématique : 1=3.

Trois fois, je fus tenté d'abandonner cet impossible projet... Mais soudain la lumière vint après cinquante ans d'études myopes et sectorielles. Tout s'éclairait, la théologie, la spiritualité, la philosophie et même les sciences, et surtout l'homme, la famille, la société... et notre avenir. Toute la bible m'est apparue dans l'unité d'un seul trait qui joint la toute première Révélation du nom de Dieu à la dernière du Nouveau Testament :

 

1. Au point de départ, le dévoilement à Moïse, au Sinaï

- Je suis celui qui suis (Ex 3.14)

Puis, plus laconiquement concentré

- Je suis un seul mot libre (EHYEH)

Dieu s'est révélé, près d'un millénaire avant sa découverte par les philosophes grecs, par le verbe être, poussé au-delà de ses limites, comme l'Etre absolu, source de tout être, mais, aussi comme Dieu personnel, un "Je" en dialogue avec les hommes ; ce que les Grecs ne pourront percevoir par la seule raison humaine. Dieu restera pour eux une abstraction.

2. A l'autre bout de la Bible, dans le dernier écrit du Nouveau Testament, vers le fin du 1er siècle, Jean l'Evangéliste a livré le dernier mot : "Dieu est amour" (Jn 4. 8 et 16). Le Dieu personnel, révélé à Moïse, n'est point solitaire, mais solidaire. Il n'est pas narcissique, mais social. Il n'est point l'égoïsme suprême, mais l'altruisme suprême. Eternellement, il donne naissance au Fils comme Dieu à part entière, avec lui et en lui, partageant la même vie, le même être. Le Fils, éternellement, rend grâce au Père de tout ce qu'il en reçoit. Et cet échange intime qui les unit, c'est une troisième personne : leur lien, leur amour même, l'Esprit Saint.

La pédagogie de Dieu est géniale et simple. Il avait tout dit à Moïse, en un seul mot hébreu (le sujet étant inclus dans le Verbe) : "EHYEH". JE SUIS. Au terme de la Révélation, il dit sa vie, ignorée des philosophes, en trois mots : Dieu est amour. Dieu est bien l'Etre suprême, l'Etre absolu ; mais le sommet de l'être, sa forme transcendante et suprême, c'est moins l'Intelligence ou la puissance ou la densité que l'amour. L'être suprême n'est qu'amour. C'est le secret ultime de l'Etre, le secret de Dieu ; intime, cohérent et lumineux, car les relations des trois personnes ne multiplient pas l'être de Dieu, mais constituent l'unité suprême, celle de l'amour suprême. De manière analogue, la maman d'un, cinq ou dix enfants, n'est qu'une seule maman. Elle vit dans l'unité, ces multiples relations.

Les théologiens synthétisent chaque problème dans un principe abstrait et théorique. Dieu même résume : tout dans la phrase la plus simple, la plus concrète qui soit, car il n'est rien de plus concret que l'amour, ni rien de plus éclairant. Nous le comprenons dans la mesure où nous aimons.

Cette lumière est la source de toutes les autres.

 

2. Lumière sur toute la théologie

Cette Révélation biblique éclaire de proche en proche toute théologie. Dieu n'est qu'amour. C'est sa vie même. Il crée par amour et pour l'amour. Il nous invite à partager son amour éternellement.

Quand j'étais séminariste, en un temps où la théologie était terriblement abstraite, mes camarades du séminaire français de Rome, avaient bien compris, que pour être vraiment des prêtres, ils avaient à repenser toute leur théologie à neuf, à partir de l'amour qui est tout en Dieu et pour nous : "Et nous, nous avons cru à l'amour" dit Jean (Jn 1.4). En dernier ressort, la théologie ne parle que d'amour.

L'Incarnation, c'est l'Amour de Dieu, répandu et communiqué. La Rédemption, c'est l'amour de Dieu qui se fait homme pour sauver les hommes. Il assume notre humanité pour nous donner sa divinité. Admirable échange disent les pères de l'Eglise.

La Rédemption, c'est davantage encore, "le plus grand amour", dit Jésus : Donner sa vie pour ceux qu'on aime (Jn 15.13). Il va jusqu'au bout de l'admirable échange. Il prend sur lui notre péché et notre malheur pour nous donner sa sainteté et son bonheur. "Il s'est fait péché pour nous", va jusqu'à dire l'apôtre Paul (II Co 5.21) pour renflouer notre péché par la plénitude de son amour.

L'Eglise, c'est l'unité des hommes en son "Corps mystique", "une seule Vigne", dit plus radicalement Jésus : "Je suis la vigne, vous êtes les sarments" (Jn 15.1). Il ne dit pas "Je suis le tronc", mais il dit bien : "Je suis la Vigne tout entière". Et il explique autant qu'on peut expliquer : "vous en Moi et Moi en vous", répète-t-il tout au long de l'Evangile de Jean (10.38 à 17.21).

Les sacrements, ce sont les actes de son Amour Sauveur : infaillible lorsque les prêtres font en son nom les signes sensibles qu'il a fondés pour réaliser sa promesse.

- Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.

Bien plus, l'Eucharistie, sacrement des sacrements, c'est le don total de lui-même : corps, âme, divinité, dans l'unité inséparable des trois personnes, dans l'unité de son corps mystique, inséparable aussi dans la communion de tous les saints. C'est l'anticipation de Dieu tout en tous.

 

3. Lumière sur la spiritualité

Si l'on repense et contemple ainsi toute la théologie dans l'amour, elle est ipso-facto, spiritualité. Il n'y a plus à compléter laborieusement les abstractions de la scolastique par des "corollaires de la piété", comme disaient les manuels d'autrefois. La théologie de l'amour est spiritualité.

 

4. Lumière sur la philosophie

La Trinité m'a donné aussi la lumière sur la philosophie. J'avais commencé mes études universitaires par deux licences de philosophie, en Sorbonne et à l'Institut catholique, où j'ai été formé à la philosophie thomiste par Jacques Maritain, en contact personnel avec Henri Bergson, dont toute la vie de recherche, à partir d'une formation plutôt matérialiste, découvrit finalement Dieu par le témoignage des mystiques chrétiens.

J'ai beaucoup admiré la découverte des philosophes grecs qui sont parvenus à Dieu par la raison. Tout commence avec Parménide (+ v.450). Il eut si profondément l'intuition de l'être, qu'à travers les êtres contingents, il percevait l'être suprême :

"Néant n'est rien, néant n'est pas : l'être est nécessaire, il est un. Il est parfait", disait-il. Notre perception d'être multiples et mouvants n'est qu'illusion, en concluait-il et son disciple Zénon d'Elée, brillant dialecticien, le démontrait avec brio :

- La flèche qui paraît voler vers la cible est immobile, disait-il. Elle ne peut être en plusieurs endroits à la fois. Ce serait contraire au principe fondamental d'identité.

Les successeurs ont dépassé ces sophismes. A partir de cette problématique paradoxale, mais profonde, Platon, puis Aristote, ont saisi progressivement le clivage entre les êtres contingents, multiples et mouvants, que nous manifeste notre expérience et l'être nécessaire, unique, immuable : principe, cause finale, et point d'abstraction de tout le reste. Il est un, parfait, acte pur.

Mais faute de pouvoir pénétrer la vie de Dieu, cette admirable philosophie butait sur un scandale. L'Etre un et parfait ne pouvait être amoureux que de Lui-même : il aurait donc été l'égoïsme suprême, le narcissisme suprême. Aristote qui a écrit un traité de l'amitié, percevait l'amour comme une valeur suprême. Il n'a pas osé dire que Dieu était une personne. Il en est donc resté à la rigueur de ses conclusions abstraites. Mais après lui, la philosophie en butte à ce même scandale latent et à cette froidure, ont toujours oscillé entre le panthéisme où tout est Dieu et l'athéisme où rien n'est Dieu.

Le panthéisme est confusion du Dieu transcendant avec la Création. Mais les stoïciens y ont recouru pour trouver en Dieu la chaleur morale d'une solidarité qui unit tout. L'apôtre Paul loue cette intuition, dans son discours à l'Aréopage d'Athènes, en citant le meilleur d'entre eux : Aratus "En lui, nous avons la vie, le mouvement et l'être, nous sommes de sa race comme on dit aux poètes" (Ac 17). Mais, non sans corriger en conclusion : "c'est lui qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve".

Quant aux athées, ils ont misé sur l'homme seul.

 

5. Lumière sur l'humanité

La Trinité est lumière sur l'homme. Dès sa première page, la Bible l'exprime en disant :

Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance.

Dieu fit l'homme à son image et à sa ressemblance.

A son image, il LE créa

Homme et femme, il LES créa.

Pour créer l'homme, Dieu dit NOUS.

Il crée l'homme au singulier : "IL LE créa", car l'homme est un : le récit de la création exclut ainsi tout racisme. Mais il le crée aussi multiple : "IL LES créa, homme et femme", multiple et différencié. Il les crée incomplets et complémentaires, destinés par nature à l'amour qui les fait un et appelés à créer avec Dieu et d'autres personnes humaines : leurs enfants. "Multipliez-vous", leur dit Dieu (Gen 1.28). L'homme est d'abord famille, la société naturelle, chef d'oeuvre intime de la Création. L'homme est social à tous les niveaux : et les hommes prennent de plus en plus conscience de l'unité et de la solidarité du genre humain, grâce à l'explosion des communications. "Qu'ils soient un, comme le Père et moi nous sommes un", répète Jésus en Jn 17.21-22.

L'unité des trois personnes dans la Trinité avait fasciné Feuerbach et Marx, les fondateurs du communisme athée. Ils en parlent. Mon livre les cite (p 321 s). Ils voulaient libérer l'homme, de son individualisme et de son égoïsme, radicalement, en supprimant la propriété privée, qui replie sur lui l'homme possessif, afin de réaliser ainsi l'unité : "L'internationale sera le genre humain" chantaient-ils. Malheureusement la conversion de Feuerbach au matérialisme, en opposition à l'idéalisme de Hégel, lui a fait substituer la lutte de classe à l'amour et le collectivisme à la communion. D'où la dictature du prolétariat et le goulag. Feuerbach et Marx avaient pourtant puisé les formules mêmes de leur idéal dans l'Ecriture sainte. Il voulait réaliser progressivement la société socialiste qui donnerait à chacun selon son travail, puis la société communiste qui donnerait à chacun selon ses besoins : formule copiée littéralement dans les actes des apôtres (Ac 2.45 et 4.35) pour décrire le modèle social de la communauté chrétienne primitive. De plus, "communisme" est encore un mot en "isme" qui indique un excès. Communisme déforme le mot latin communion (latin : communio, grec, koinonia), qui définit la société chrétienne primitive selon les actes des apôtres : "la multitude des croyants n'avait qu'un coeur et qu'une âme" (Ac 4.32 ; 1.14).

 

6. Lumière sur les sources et le cosmos

La Trinité illumine aussi la connaissance du monde. Les sciences en déchiffrent admirablement le comment, les mécanismes du cosmos, dont la révélation ne nous dit rien. La Trinité donne la lumière du pourquoi.

Le grand problème philosophique, depuis les grecs de l'Antiquité, c'est : "Pourquoi le monde semble-t-il à la fois un et multiple", car cela paraît contradictoire.

Parménide éliminait le multiple qui n'est pour lui-même qu'illusion. L'être est un. Pas de multiples. Tout était nécessaire, immuable. Pour Héraclite, au contraire, tout était multiple et il n'y avait pas d'unité : "Tout coule", disait-il (grec, panta rei, et "on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve".

- Eh bien non, ce n'est pas un dilemne. Il ne s'agit pas d'éliminer l'un ou le multiple. Le monde est à la fois un et multiple, Dieu est Un au suprême degré, absolument un, car il n'y a rien de plus Un que l'amour ; mais il est également multiple, parce que pour aimer, il faut être plusieurs. En Dieu-Amour, les trois personnes ne sont pas des individus, les trois personnes ne sont que Relations, dit génialement saint Thomas d'Aquin. Ainsi est constituée éternellement l'Unité suprême par corrélation, réciprocité, intériorité réciproque : "le père et moi, nous sommes un" (Lc 10.38) ; "Moi en Lui et Lui en Moi" (passim en Jn 10.38 jusqu'à 17.20-21), C'est cette unité multiple que le monde reflète à tous niveaux.

Dans l'infiniment petit, l'atome est un noyau autour duquel gravitent un ou plusieurs électrons, et le noyau lui-même est composé d'une multitude de particules que les savants identifient progressivement, plus de dix protons, neutrons, neutrinos, mesons, bozons, leptons, muons, etc...

Dans l'infiniment grand, notre monde est constitué d'une multitude de planètes gravitant autour du soleil, non sans analogie avec l'atome. Dans notre galaxie, il y a des milliards d'étoiles analogues autour desquelles gravitent d'autres planètes ; et au-delà de notre galaxie, il y a des milliards de galaxies, explosivement projetées dans l'univers par l'explosion originelle du big-bang : une inconcevable concentration d'énergie et de chaleur constante, qui s'étend et se dilue dans l'univers en expansion, à la vitesse de la lumière. C'est l'énergie qui unifie et constitue l'unité de ce monde multiple, quoiqu'originellement concentré dans une particule minuscule, des milliards de fois plus petite qu'une tête d'épingle. L'énergie qui unifie le monde à tout niveau est une image lointaine de l'Esprit Sain, que la Tradition désigne comme le Lien et l'Amour qui réalise l'unité du Père et du Fils.

On trouve d'autres images de Dieu à tous les niveaux de la vie. D'abord la cellule, avec son noyau et son protoplasme, puis le vivant organique, végétal ou animal : unité autonome de vie dans une multiplicité organique de cellules analogue à l'esprit, principe de toute vie. Les animaux supérieurs s'assemblent à leur tour en sociétés, organisées et communiquantes, comme les ruches d'abeilles et les fourmilières. Et nous retrouvons au sommet, la société humaine où Dieu a mis sa meilleure image. Ce n'est pas une réplique. Si la famille est une, Père, mère, enfant, ce n'est pas l'ordre de la Trinité où le Fils vient en second, et l'Esprit (féminin en hébreu) en troisième. Mais l'amour est le même.

L'étude de la Trinité m'a fait comprendre aussi la convergence profonde entre la théologie bien comprise et les sciences. Elles sont très différentes. Les sciences déchiffrent le comment ; la théologie, le pourquoi. Mais leur évolution les rapproche culturellement.

Les Grecs, fondateurs des sciences modernes, pensaient substance. Pour Aristote, la relation n'était qu'une propriété de la substance (le quatrième médicament). La science moderne ne pense plus que relation ; et si l'on comprend bien le dernier mot de la Révélation : Dieu est amour, on comprend que tout est relation : Dieu est relation, puisqu'il est amour. Et la Création n'existe que par sa relation à Dieu. Bref, la Révélation fait comprendre

- d'une part que Dieu n'est que Relation

- d'autre part que le monde est pure relation transcendantale à Dieu, au-delà de la relation prédicamentale d'Aristote, puisque tout l'être créé tient à sa relation au Créateur. De même, la grâce est pure relation à Dieu, qui nous recrée à son image et saint Louis-Marie Grignon de Montfort disait fort bien que Marie est toute relative au Christ, qu'elle est "relation de Dieu" (Relation vers Dieu, disait avant lui Bérulle). "Tout est relation, et cela seul est absolu", me disait un prestigieux scientifique d'aujourd'hui, Olivier Costa de Beauregard. Il le disait d'après Henri Poincaré (1913) qui formula avant Einstein les équations de la relativité (sans généraliser). Mais chez Poincaré, la formule est moins bien frappée : elle concerne les invariants de la relativité. Je fus fasciné par cette formule.

- C'est la meilleure définition philosophique de la Trinité, lui répondis-je. Dieu est amour, il n'est qu'amour, il n'est que relation. La Création est relation à Dieu. Elle vient de Dieu. Elle tend vers Dieu, sa cause finale, comme le percevait déjà Aristote. Elle gravite en quelque sorte autour de Dieu. Est-ce un nouveau signe que le combat historique entre science et foi devient harmonie et convergence ?

 

Qu'est-ce que l'amour ?

J'ai presque fini...

- Mais, vous n'avez pas expliqué l'essentiel, me direz-vous : puisque Dieu est amour et nous appelle à l'éternel amour, qu'est-ce que l'amour ?

Rien de plus difficile à définir, car nous ressentons l'amour. Nous le vivons. Nous le percevons intuitivement, mais nous ne pouvons pas le définir distinctivement, comme nous ne pouvons définir l'être. Nous pouvons dire : "C'est un sentiment, un attrait qui unit des personnes" ; ou encore "il est communion, partage, bonheur d'être ensemble, il est gratuité, au-delà de l'intérêt, il est ce qui reste quand on a tout perdu".

Le mot "amour" est ambigu, il peut exprimer des choses contraires.

Quand un amoureux dit "je vous aime", cela peut signifier des choses bien différentes, sinon contraires.

- Ou bien le simple désir, l'eros : "je veux vous avoir, profiter de vous, vous dominer, vous phagocyter".

Cet amour égoïste fait les mal-aimés, les victimes, qui concluent amèrement : "Il m'a bien eu". Dans des cas extrêmes, le pervers viole, puis tue la victime, femme ou enfants (attaqués par les pédophiles), relatent périodiquement les journaux.

Mais "je t'aime", cela peut vouloir dire aussi (ce qui est normal)

- je veux ton bien, ton bonheur et je donnerai ma vie pour toi.

L'amour vrai est don, don de soi jusqu'à la mort, au-delà de la mort.

- "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir" dit Jésus selon Ac 20.8.

Freud a canonisé le désir. Je ne dirai pas que le désir est mauvais, c'est une dimension de notre être : le dynamisme de notre nature sauvage ; mais ce n'est que le porche, le premier mouvement de l'amour. Ici, la Trinité nous éclaire. En Dieu, il n'y a pas de désir, car il a tout. Il est tout. Il est au-delà du désir. Il n'est que don.

Il nous appelle à convertir le désir en don. Il a programmé cette conversion dans la nature même. Le bébé est avide.

- Ce n'est encore qu'un tube digestif, disait un de mes amis médecin, non sans exagération.

Les jeunes restent souvent égoïstes. Ils s'éveillent à l'altruisme en découvrant l'homme ou la femme de leur vie. Ils veulent le bonheur de l'autre qui sera leur commun bonheur.

Cette étape est parfois manquée. Cela fait les couples malheureux et les divorces. Mais, au stade suivant, lorsqu'ils ont des enfants, l'étape est majoritairement réussie. Les égoïstes sont prêts à tous les sacrifices pour leurs enfants. Ils les veillent, les soignent jour et nuit, quand ils sont malades. Mon grand père disait :

- Ce que nous donnons à nos enfants, ils ne pourront jamais nous le rendre, mais ils le rendront à leurs enfants.

Quelle est donc l'essence, le spécifique et le paradoxe de l'amour ?

Le secret de l'Amour vécu, c'est le passage de l'amour désir à l'amour don : de l'eros (d'où vient érotisme) à l'Agapê. Le Nouveau Testament n'emploie jamais le mot eros (si courant en grec). Et il a déniché le mot Agapê pour désigner l'Amour véritable : celui qui est en Dieu.

Car Dieu est au-delà du désir ; il a tout, il est tout. Il n'est que don, gratuité, surabondance.

Il nous invite à purifier et transfigurer le désir en don, ce qui advient au plan naturel dans le mariage, disions-nous. C'est le sens du mystérieux adage si souvent répété dans les quatre Evangiles.

- Qui veut sauver sa vie la perdra, et qui la perd la trouvera, car on se retrouve dans l'autre (et finalement en Dieu) dans la communion. Et Jésus énonce plus clairement ce même secret en disant :

- Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.

1. L'amour met ceux qui s'aiment sur un pied d'égalité. Un lord anglais définissait ainsi l'amitié :

- C'est ce qui fait qu'un lord préfère parfois ses jardiniers à ses pairs.

2. Il faut dire plus : l'amour est ce qui met le plus grand au service du plus petit. Le roi des contes au pied de la jeune bergère ; les parents au service de leurs enfants, mieux que le plus dévoué des serviteurs.

Tel est l'amour du Christ pour nous. Lui, l'égal du Père, "s'est fait esclave pour nous" dit saint Paul (Philippiens 3). Il l'a symbolisé en lavant les pieds de ses disciples, confus, et intimidés, avant la dernière Cène (Jn 13). Dans une parabole, il promet qu'au banquet céleste, c'est lui qui prendra le tablier pour servir les serviteurs qui s'apprêtaient à lui rendre cet office (Luc 12.37). Et c'est en signe eschatologique (Lc 22.18 ; 1 Co 11.27) qu'il l'a fait avant la Cène.

L'apôtre Paul dit que le Christ s'est fait esclave pour nous (Philippiens 2.7). "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime", a dit Jésus. Il le dit modestement, pudiquement, sans dire "je" mais il l'a fait jusqu'au bout, atrocement.

Mon livre détaille et justifie tout cela par l'Ecriture et la Tradition chrétienne.

 

Conclusion

Mais il est temps de conclure. Je le ferai simplement dans les termes bibliques de Jésus lui-même. Tout tient en deux ou trois petites phrases, sans théorie, sans abstraction, mais qui font éclater le langage et notre finitude :

- d'abord : le Père et moi, nous sommes un (Jn 10.38)

- ensuite, et c'est presque la même chose : qu'ils soient un comme nous sommes un.

Il explique cette identité en termes (complémentaires) d'intériorité et d'intimité : "Vous en moi et moi en vous, comme je suis dans le Père, Lui en Moi et Moi en Lui" (Jean, passim, 10.38 à 17. 21-22).

L'amour est au-delà des mots. Jésus l'exprime en termes d'habitation, d'union, d'immunité et finalement d'identité : "Je suis la vigne, vous êtes les branches". On ne saurait trop répéter ces mots vertigineux. Il ne dit pas : "Je suis le tronc" mais "je suis la vigne". Nous sommes en Lui. Il nous divinise comme une partie de Lui-même : "Qui perd sa vie (pour Dieu et pour autrui) la sauvera", dit encore Jésus.

Dieu nous appelle à un amour sans limite, de durée, de perfection, de qualité. C'est confondant, bouleversant. C'est l'enjeu de notre vie, promise non à la mort mais au bonheur en Dieu. L'Amour est réciprocité. L'Amour parfait est réciprocité parfaite. Dieu se forme et s'exprime par l'amour des autres. Qui dit : "j'aime Dieu et je n'aime pas les autres, celui-là est un menteur", dit l'apôtre Jean (1 Jn 4.20). Tel sera le jugement : "j'avais faim et vous m'avez donné à manger" (Mt 25). Et nous en serons surpris, dit Jésus.

- Mais quand donc Seigneur ?

- Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait.

Tant est grande l'unité entre Lui et nous. Et l'apôtre Paul semble manquer au théocentrisme, quand il dit même, sans évoquer l'Amour de Dieu : "Celui qui aime le prochain accomplit toute la loi" (Rom 12. 8-9 ; cf 1 Jn 4.8 ; 19-20).

Merci, ô Dieu, d'être Tout ; pour vous et pareillement, pour nous, de plain-pied ; d'être ainsi plénitude pour vous et pour nous, dans la plénitude de Dieu tout en tous.

L'amour n'est pas un objet, il est don, union, unicité. C'est plus qu'une connaissance ; une praxis, une union au-delà de toute connaissance, car la connaissance même s'achève et se résorbe en quelque sorte dans l'union. Quand on s'embrasse, on ne se voit plus, on est trop près, trop un. L'enfant ferme les yeux quand il se réconforte dans le câlin maternel. On se perd dans l'amour mais on s'y retrouve au-delà de soi-même, dans l'autre, et finalement en Dieu tout en tous. Chacune des trois personnes de la Trinité aime personnellement les deux autres, mais les trois constituent un seul et même amour. Le père est seul principe de l'amour. L'Esprit Saint en est l'achèvement et le principe de sa diffusion, lui qui inspire, unifie et remplit la face de la terre et habite chacun de nous.

Père René Laurentin, de l'Eglise Catholique
(allocution prononcée en français) 

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Mise en page : 26-04-2000 16:26
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