L'Appel de l’Epoux Divin à la Réconciliation et à l’Unité

Pèlerinage international de prière en Terre Sainte
de
La Vraie vie en Dieu
du 14 au 26 mars
à l'occasion du Grand Jubilé de l'An 2000

Symposium des 19 et 20 mars 2000 à Bethléem

 

Allocution du Père Vladimir Zielinski, de l'Eglise Russe-Orthodoxe
prononcée en français le 20 mars 2000

LA RÉCONCILIATION : L'APPROCHE TRINITAIRE

 

Le grand penseur russe du XIXème siècle, Nicolas Fedorov dit : "Notre programme social est la Trinité". Aujourd'hui, nous pouvons dire – avec juste raison – presque la même chose : notre programme de la réconciliation est aussi la Trinité. Car l'essence même de la Trinité est la relation et l'amour. Au sein de la Trinité, c'est la même chose. Relation-amour unit les Trois Personnes à l'intérieur de l'essence divine, et notre foi chrétienne, si nous essayons de la décomposer en éléments, consiste aussi de relation, d'amour, d'espérance, de joie, de crainte, de la certitude d'une certaine présence et d'étonnement, d'émerveillement. Commençons avec l'émerveillement, car avant de réfléchir, il faut savoir s'émerveiller. Il faut s'arrêter et s'immerger dans le silence priant, afin que le mystère trinitaire entre en nous et nous engage, nous embrasse, nous unisse.

L'émerveillement devant la Trinité n'est pas un sentiment passager, mais un mode de la laisser se dévoiler en nous-mêmes. Si nous cherchons l'unité et la réconciliation dans l'émerveillement et la vénération contemplative, nous arrivons aussi à l'unité dans le dévoilement du mystère, vécu ensemble, et à la fin, nous pouvons parvenir avec la grâce de l'Esprit aussi à l'unité dans la pensée, dans l'expérience et les formules triadologiques qui expriment l'incompréhensible.

Je vais essayer d'approcher de l'incompréhensible tel qu'il est vu et vécu dans mon Eglise orthodoxe. Mais je crois que la vision de Dieu dans sa profondeur est commune à nous tous. Désunis dans les raisonnements, nous sommes secrètement unis dans cette réalité indicible qui se manifeste ouvertement ou secrètement. La voie vers la réconciliation est ici, sur le chemin vers le mystère qui se trouve à l'origine de l'humain.

Partons, donc, du visible et allons à la révélation de l'invisible, sur les traces laissées par la lumière et comme point de départ, prenons les paroles de St Jean, au début de son Evangile.

"Nul n'a jamais vu Dieu
Le Fils unique qui est dans le sein du Père,
Lui, L'a fait apparaître"
(Jn 1.18)

 

1. Les images du Christ

"Lui, L'a fait apparaître". On entre dans l'abysse de la Trinité par la porte du Fils unique.

"Je suis la porte des brebis" dit le Christ. Ces brebis sont nos âmes, nos corps, nos pensées. Par cette porte, l'abysse s'ouvre et Dieu entre et s'installe dans la famille humaine. Le Christ est la porte de la vision, car Il est visible, on peut entendre sa voix, on peut presque toucher sa main. Mais quand on s'approche de Lui, on touche l'insondable. On entre dans le mystère, dans l'ineffable.

Nous, les hommes, habitons à côté de ce mystère, à sa frontière. Il nous interpelle de partout. On ne peut pas le saisir ni par les pensées qui le reflètent, ni par les paroles qui cherchent à le décrire. Mais tout ce qui nous fait hommes prend ces racines dans le Christ et dans l'abysse qu'Il dénude ; découvre ou dévoile. Grâce à Lui, nous sommes doués de nos concepts du bien et du mal, des images de la beauté et de la laideur, des pressentiments du paradis et de l'enfer. Cette abysse cachée en nous est la patrie de notre nostalgie et de cette interrogation angoissée devant la mort qui est inaliénable de l'homme. Toutes ces choses humaines sont comme éclairées de l'intérieur par cette lumière qui arrive du fond du mystère. Tout ce qui est vraiment humain peut servir son messager direct ou discret.

"Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme" (Jn 1.9). La lumière touche chacun de nous, mais souvent elle reste innommable. Mais elle n'est pas énigme à déchiffrer. Et elle ne se laisse pas atteindre par les ténèbres. Et pour cette raison, la vue accoutumée à la confusion de la lumière et des ténèbres la perçoit avec difficulté. C'est le coeur qui le reconnaît le premier car la lumière s'illumine dans sa profondeur. Mais partout, elle laisse les traces de sa présence, de sa demeure. La lumière parle. La Parole s'illumine de l'intérieur du silence, le visage se dessine au fond du mystère. Ce visage intérieur est gravé sur chaque être humain. Il est comme un message personnel à chacun de nous. Il reste souvent anonyme, quand nous ne voulons pas le voir, mais de son anonymat, il nous appelle au dialogue, à la reconnaissance. Il nous regarde, nous scrute, nous écoute. Il se révèle sans cesse, mais pour la rencontre véritable, il faut le choisir, faire un pas vers lui, il faut lui dire : Toi.

Le Mystère, la Lumière, le Visage – ces trois paroles me viennent les premières quand je pense à l'expérience immédiate du Christ. Elles sont communes à tous. Chaque chrétien sait que nous sommes choisis par Lui comme Ses amis, Ses frères, Ses concitoyens qui habitent la même terre et qui sont destinés au même ciel. Notre foi provient de la reconnaissance, de la rencontre. L'homme est créé comme celui qui doit rencontrer un autre. Cette rencontre est plus intime que n'importe quelle intimité, et en même temps, elle est sociale. Dans la parole du Christ, chacun peut reconnaître un autre qui devient son prochain, son frère, et ainsi, tous nous faisons la fraternité de la parole. "J'ai parlé ouvertement au monde", dit le Christ et chacun peut L'entendre. Jésus parle ouvertement au monde et secrètement dans les coeurs. Ainsi, la parole qui "était au commencement avec Dieu" fait le sacrement de la personne humaine. "La lumière qui est en toi" (Luc 11.35), l'image de Dieu, le visage du Christ au fond de notre être, "constitue" ce commencement du divin en l'homme. Nous sommes toujours en route vers cette source ou vers le Christ qui se laisse rencontrer, découvrir de nouveau.

Combien de découvertes ont été faites pendant ces vingt siècles ? On pensait que le christianisme avait subi la défaite dans le XIXème siècle ; au XXème siècle, les idéologies païennes ont pu fêter leur triomphe mais aujourd'hui, à l'aube du nouveau millénaire, il devient plus évident que le siècle à venir (comme d'ailleurs tous les siècles après l'Incarnation) sera celui du Christ. L'Evangile n'est pas encore prêché dans le monde, non dans le sens géographique, mais dans sa plénitude, dans sa profondeur, dans toute sa grâce inconnue. Le Christ, semble-t-il, se retire parfois dans l'ombre de l'histoire, se laisse chasser, se laisse bafouer, pour se manifester de nouveau d'une manière inattendue. Le suc de ses paroles est plus fort que la "sagesse de ce siècle" ; ses pousses percent tous les systèmes de pensée, même ceux qui s'appellent chrétiens. Je me souviens des paroles de Teilhard de Chardin qu'après chaque crise de l'histoire, le Christ apparaît de nouveau dans une profondeur inattendue, dans la lumière nouvelle. Cela sera dans l'avenir jusqu'au moment où il viendra, parce que ce ne sont pas les hommes qui ont créé le Christ mais le Père les a créés dans Son Fils et leur a donné une étincelle de Son Esprit. Et l'Esprit restera la mère qui fait renaître dans nos âmes - dans la sainteté inattendue, dans la découverte nouvelle - le Christ qui aujourd'hui est dans les siècles est le même, celui qui sauve, celui qui unit.

 

II. L'Esprit Saint et la transmutation des dons

"Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu..." dit le Christ.

Notre connaissance du Christ ressemble à l'image dessinée par Celui qui vraiment Le connaît. "Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père. Comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler" (Mt 11.27). Cet acte de la révélation voulu par le Père, est l'action de l'Esprit Saint. Les noms du Christ que nous trouvons dans notre mémoire, dans notre coeur, sont les noms donnés par l'Esprit Saint. Notre expérience de l'Esprit Saint est la manifestation de l'Esprit Saint. Mais Il reste toujours invisible, insaisissable.

Le nom de Dieu est en dehors de tout ce que l'homme est capable de dire avec la bouche ou de définir avec sa pensée. Nos frères juifs ou musulmans ont mille fois raisons de le protéger. Mais il y a des paroles messagères, les paroles icônes, les paroles qui unissent le feu qui a créé le monde avec sa beauté, et cette petite étincelle de la foi allumée en nous. La première de ces paroles est l'amour. Il ne s'agit pas de l'affection sentimentale mais tout d'abord d'un lien qui nous unit, nous mortels, avec le Dieu incompréhensible et indéfinissable, comme dit la liturgie. Il s'agit de quelque mystérieuse substance commune qui existe entre Dieu et nous, de la vérité qui est une pour le ciel et pour la terre, du miracle de la présence de Dieu parmi nous. Il est présent non comme un concept lointain, mais comme un ami, un frère, un sauveur. Ce lien qui nous unit, ce miracle de la présence, cette abysse de l'amour s'appelle l'Esprit Saint.

Quand nous invoquons le nom de la Trinité, du Père, du Fils et de l'Esprit Saint, nous ne confessons pas seulement une certaine vision de Dieu, mais nous sommes déjà au centre de ce mystère, ouvert devant nous. Et nous sommes déjà unis dans l'amour "répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint" comme le dit St Paul (Rm 5.5). Ce que nous appelons la Révélation consiste en cette effusion du mystère de l'amour, découvert par l'Esprit.

Spontanément, nous répondons par la gratitude. Mais la gratitude à l'amour est aussi l'action de l'Esprit. Le Fils qui découvre le Père à travers le Fils est aussi l'action de l'Esprit. Le coeur qui se purifie pour donner de l'espace à Dieu est l'action de l'Esprit. Ces actions sont les trois composants de notre foi. Mais la foi est tout d'abord la réponse à l'amour. L'Esprit dévoile le Père. L'Esprit réveille notre mémoire. L'Esprit suggère les paroles de la prière. L'Esprit est l'échange des dons entre Dieu et nous, de nos petits dons, de nos efforts minuscules et des immenses dons de Dieu qui nous surpassent.

Le miracle du christianisme consiste en la présence de Dieu parmi nous. Pas seulement "Dieu est dans les Cieux et toi tu es sur la terre" qui est le principe de toutes les religions monothéistes, mais Dieu est avec nous, avec Sa Parole, Sa grâce et Son amour mis dans notre mémoire et notre coeur.

Nous ne sommes pas dignes de servir dans cette habitation à cause de nos péchés, nos faiblesses et nos limites devant le Seigneur, et en même temps, nous sommes admis dans le Saint des Saints. Jésus dit : "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nos ferons chez lui notre demeure" (Jn 17.23). La tradition orientale comprend cette demeure dans le sens le plus personnel et concret, comme la maison de Dieu, construite avec nous et en nous. Ecoutons la liturgie orthodoxe ; elle peut être assimilée à la construction de la demeure de Dieu dans la communauté des fidèles et dans le coeur humain. Cette construction est effectuée avec les moyens de l'art, de la prière, même de nos sentiments. Dans le sens sacramentel, cette demeure se construit avec la transmutation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. Mais l'Eucharisite sacramentelle est le signe de l'Eucharistie de la création dont parlait le théologien catholique Teilhard de Chardin et le théologien orthodoxe Jean Ziziulas. L'Eucharistie dans son sens direct et spirituel est la gratitude du fils ou des fils qui se souviennent de l'éternel sacrifice du Seigneur. Cette mémoire se transforme dans le sacrement, dans l'union corporelle et spirituelle avec notre Dieu. Nous sommes dans la demeure de Jésus et de son Père ou dans l'union de l'amour, c'est-à-dire dans l'Esprit qui change, qui transforme, qui effectue cette union.

Qu'est-ce qu'Il fait, l'Esprit Saint ?

Il entre dans l'amour et le désir de l'homme et de la femme créant un autre être humain, une autre âme, un autre temple de Dieu.

Il touche le visage de l'animal doué de la pensée, devient un visage humain avec sa beauté, avec son énigme, avec ses yeux, qui ont rencontré le regard de Dieu.

Il descend sur la simple nourriture humaine et elle devient la demeure de Dieu, Son Corps et Son Sang, Son sacrifice et Son amour.

La parole-clé de cette action, de ce changement inouï, est la transmutation.

La transmutation des paroles humaines en la Parole du Seigneur.

La transmutation de nos souvenirs fragiles en la mémoire sacrée.

La transmutation de nos pensées et émotions en le mystère de la foi.

La transmutation de la communauté des fidèles en l'Eglise.

La transmutation de l'amour humain en le temple de l'Esprit Saint.

La transmutation de notre nourriture en le sacrifice du Seigneur.

Chaque fois, la nouvelle réalité apparaît et se construit des éléments de ce monde. Cette réalité terrestre temporaire a ses racines dans une autre réalité, éternelle et céleste, qui nous surpasse infiniment. Elle unit sans les confondre deux ordres de l'être, et crée une réalité nouvelle, inattendue, divino-humaine, celle qui porte le message principal du christianisme : Dieu nous a donné le don de la transmutation de son existence dans notre vie et ce don se réalise toujours avec l'action de l'Esprit. L'action de l'Esprit signifie que ce que Dieu nous donne, s'unit à l'homme et devient divin. La transmutation la plus radicale est celle qui fait de nous-mêmes les citoyens du Royaume.

Dans le processus long et difficile de la transformation de nos âmes et de nos corps pour les préparer au Royaume, une part appartient à l'homme, une autre à Dieu. L'homme devient un collaborateur de Dieu et participe à l'oeuvre commune, à ce travail de la transmutation ou de la transfiguration de l'humanité en Christ. Mais afin que cette tâche puisse être accomplie, il faut qu'une autre transmutation se produise : celle des communautés divisées, souvent opposées, en une famille unie.

L'Esprit rend le Christ présent et proche, mais le Christ glorifié nous envoie l'Esprit. Il s'agit de deux missions réciproques de ces deux mains du Père, comme dit St Irénée. L'Eglise orthodoxe affirme que l'Esprit provient du Père et devient la splendeur du Fils mais l'Esprit illumine le Fils non seulement à côté du Père mais aussi en nous, dans nos coeurs, dans nos vies. L'Esprit pénètre dans notre conscience et crée une sorte de réciprocité, de la corrélation, c'est-à-dire la capacité de connaître le Fils, et à travers le Fils, le Père. Or, la vraie connaissance ne se produit que dans la conciliarité de nos âmes, de nos consciences, dans le sacrement de la réconciliation devant le Père commun.

 

III. La révélation du Père dans le miroir de la liturgie

Il y a mille reflets et réflexions du Père invisible dans la réalité accessible à l'homme. "Les cieux racontent la gloire de Dieu et l'oeuvre de Ses mains, le firmament l'annonce ; le jour au jour en publie le récit et la nuit à la nuit en transmet la connaissance" (Ps 18.1). Si nous prêtons l'oreille à la connaissance transmise par les cieux, par les jours, par les nuits, par les montagnes, les nuages, les fleuves, les herbes, nous dirons que le Fils l'a fait apparaître, l'a incarnée partout, que l'Esprit invisible l'a fait présente dans la gloire de l'être. Mais nous choisissons ici un homme priant comme témoin du Père, un homme liturgique en tant que Son fils qui aime Celui qu'il connaît, "comme s'il voit l'invisible", selon la parole de St Paul.

Dans l'espace de la liturgie byzantine, créé par la prière et l'expérience spirituelle, nous pouvons nous approcher du Père, Lui dire "Toi", comme le Christ Lui-même le disait. Le miracle de la liturgie qui ne s'ouvre qu'aux yeux de la foi est notre devenir, le Corps du Christ, c'est-à-dire dans la transmutation de nous-mêmes. Et en tant que Son Corps, nous devenons voyants, le mystère trinitaire se révèle devant nous. La prière nous transmet la connaissance de Celui qui ne peut être connu. "Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler" (Mt 11.27).

Le Fils nous révèle le Père dans le lieu et dans le temps où Il est présent Lui-même. Il y a mille voies pour approcher le Père (à travers la beauté, la sagesse de la création, le visage humain), mais pour ne pas tomber dans des paroles vagues et usées, nous prenons la voie royale, celle de la liturgie orientale. Ici on s'approche du Père dans l'intimité incroyable et redoutable. Ici nous sommes tellement proches de Lui que nous sommes contraints, comme Moïse, de se "voiler la face dans la crainte que son regard ne se fixât sur Dieu" (Ex 3.6). Mais c'est la liturgie même qui nous donne le courage, car c'est le Christ qui regarde le Père par nos yeux, c'est le Christ qui prie par nos paroles.

Mais voyons de plus près les étapes (symboliques et approximatives, bien sûr) de cette révélation du Père telle qu'elle se développe dans la célébration eucharistique.

La première partie peut être appelée liturgie de la mémoire. Le rite de la préparation (ou de la prothèse ou de la proscomidia) est dédiée tout entière à la commémoration célébrée. La prière, dite par le prêtre, rassemble autour du Christ toute Son Eglise à partir de la Mère de Dieu et Saint Jean Baptiste jusqu'à tous nos proches, vivants ou morts, tous ceux qui habitent notre mémoire et notre coeur. Et avec le Christ, représenté par l'Agneau (un morceau de pain qui sera consacré), tout Son troupeau se présente devant le Père invisible :

"Bénis-nous et sanctifie-nous, bénis Toi-même ces offrandes, accepte-les dans Ton autel céleste", prie l'Eglise, le Christ en tête, car c'est le Père qui est destinataire de toutes les prières liturgiques et du sacrifice même. Le Père nous regarde, nous écoute, nous accueille. On devine Son visage à travers "le miroir opaque" (1 Co 13.12) de nos paroles, de nos supplications, et ce visage est celui de l'amour et de la compassion.

Dans ce rassemblement des noms et des souvenirs, la mémoire devient un sacrement, signe de l'unité... et de la division. Les "autres brebis qui ne sont pas de cet enclos", comme dit le Christ (Jn 10.16) sont oubliées, laissées en dehors. Pour cette raison, chaque liturgie, pour moi, comme célébrant, est l'appel silencieux et urgent à la réconciliation pas seulement dans nos sentiments, mais dans le Corps mystique et sacramentel du Christ.

Nous procédons vers la liturgie de la Parole ; en l'Eglise orthodoxe, elle s'appelle la liturgie des catéchumènes, mais je l'appellerais plutôt la liturgie de l'initiation. Maintenant nous sommes introduits, portés, initiés à la vision de la "créature nouvelle" ou renouvelée en Christ. Par les paroles du Psaume 102, nous entrons dans le dialogue priant de l'homme avec son âme saisie par l'admiration et l'émerveillement. "Béni Yahvé, ô mon âme, du fond de mon être Son saint nom". Le fils découvre et confesse le Père à travers Ses oeuvres. Tout de suite, la liturgie proclame la révélation du Christ (O, Fils unique, le Verbe du Dieu Immortel, pour notre salut, Tu as voulu prendre chair...) et quelques minutes après, le choeur chante les Béatitudes. Chaque béatitude est comme un reflet qui nous laisse voir la réalité des Cieux dans le secret du coeur humain. Dans les béatitudes, nous anticipons notre transfiguration des enfants du Père en Fils unique. "Nous prions maintenant en Christ et Lui avec Son Esprit Saint prie en nous, qui sommes réunis en Son nom" (P.A. Schmemann). Et cette prière réalise en soi l'unité initiée.

La liturgie des catéchumènes s'accomplit dans la metanoia qui signifie le changement du coeur. De ce changement prend le début de la liturgie des fidèles que j'ose appeler la liturgie de l'adoption. Il s'agit de l'adoption auprès du Père dans le Christ qui nous fait découvrir le visage du Père invisible. Nous nous approchons de Lui comme les Anges. - "Nous qui mystiquement représentons les chérubins...", chante le choeur. Nous voyons le visage de l'amour comme le Christ l'a vu, car nous sommes adoptés par le Père dans l'Eucharistie. "L'âme, dit St Maxime le Confesseur, avec la dignité égale à celle des saints anges, est conduite à l'adoption selon la grâce par le moyen de l'identité semblable". Cette identité avec le Christ est un point central, plus mystérieux et incroyable, de toute action liturgique. Ici se révèle le mystère de l'Eglise en tant que communion et en tant qu'adoption. Nous entrons dans ce mystère par le sacrement de l'Eucharistie, à travers la transmutation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. L'adoption est un mystère de l'identité eucharistique et spirituelle, par la grâce de la transmutation des hommes en Christ, par la transfiguration des membres de l'Eglise en Corps du Christ. "L'homme spirituel est l'Eglise, continue St Maxime le Confesseur. Et l'Eglise mystique est l'homme".

Dans la formule de l'anamnèse après les paroles du Christ : "Prenez, mangez..." suivent les paroles du Christ Lui-même adressées au Père : "Les choses que Tu as choisies qui sont les Tiennes, nous Te les offrons en tout et pour tous". Le sacrifice du Christ est devenu notre offrande dans la liturgie, nous entrons en communion mystique, spirituelle, sacramentelle avec le Père Lui-même.

La révélation du Père est ouverte en Eglise, or, nous sommes souvent en dehors. La présence du Christ est révélée, mais, sans le Christ qui vit en nous, dans nos coeurs, nous pouvons être aveugles à Sa présence. La liturgie fait une grande question à l'homme : qui es-tu ? Où es-tu ? Avec qui es-tu ? Avec le Christ ou avec son ennemi ? Est-ce que tu es vraiment uni et réconcilié avec tes proches, tes frères, les autres ? Mais ces questions proviennent des réponses qui sont déjà données. La liturgie nous fait entrer au sein du Père et nous propose une image triple de l'homme : un pécheur qui se repent, un ange qui sert à la gloire de Dieu et un Christ qui connaît Son Père et notre Père de l'intérieur, en Esprit.

Dans l'approche trinitaire s'éclaircit le défi de l'unité.

Il y a trois modes pour résoudre ce problème.

On peut continuer nos longues discussions théologiques et demander la solution encore pour mille ou deux mille ans.

On peut proclamer l'unité et la réconciliation avec les plus beaux sentiments comme si toutes ces divisions séculaires n'avaient jamais existé et que les différences n'étaient que les inventions de quelques retardataires médiévaux. Dans un élan d'enthousiasme, on peut signer un contrat qui décrète l'unité et la réconciliation à partir du lendemain, de l'après-demain, de la date que nous trouvons convenable.

Enfin, on peut entrer dans le mystère de l'autre, dans l'intimité de son rapport avec Dieu, dans sa vision de Dieu, et chercher à la partager, à la vivre réellement. C'est ici, dans l'espace intime de la prière, de la contemplation, de l'émerveillement et du repentir, que l'appel de l'Epoux divin, de la Trinité, du Christ, qui parle dans notre coeur : "Que tous soient un, comme Toi, Père Tu es en Moi et Moi en Toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie..." (Jn 17.21)

Je vous ai proposé la vision orthodoxe de la Trinité et je vous invite à la partager avec moi. Cela ne veut pas dire que je refuse d'entrer en d'autres visions, au contraire ; mais je pense que la vraie réconciliation, avant d'être célébrée sur les grandes places, doit être conclue dans la maison de chacun.

Cela veut dire que l'unité en Trinité, la réconciliation un peu plus forte et profonde que celle de l'enthousiasme ou celle des formules théologiques, doit partir du mystère partagé et vécu ensemble. Il fait ouvrir nos coeurs et même notre for intérieur les uns vers les autres, à commencer par l'amour envers les autres. Mais l'amour, comme nous avons dit, est déjà la communion à la Sainte Trinité. La clé de l'unité se trouve en nous, dans la vie trinitaire même, à laquelle nous communions. Il faut la retrouver dans les coeurs ouverts à la Trinité qui nous unit déjà. "Car où est votre trésor, là aussi sera votre coeur", dit le Christ. Car sur la réconciliation des coeurs, Il célèbre Lui-même le sacrement de l'unité.

Père Vladimir Zielinski, de l'Eglise Russe-Orthodoxe
(allocution prononcée en français)

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Mise en page : 26-04-2000 16:20
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